Environnement de pollution

Le projet GESSICA vise à mieux comprendre les facteurs de risques des cancers, notamment l’interaction entre ceux-ci et les différents pesticides utilisés en agriculture. Le Cirad est engagé sur ce projet afin de fournir au Registre des cancers du CHU de Pointe à Pitre et à l’Inserm des indicateurs spatio-temporels (des années 70 à aujourd’hui) pour la Guadeloupe « continentale » relatifs d’une part à l’utilisation des multiples substances actives et des pollutions résultantes de l’environnement et d’autre part à leur devenir, leur mobilité, leur persistance dans l’environnement. L’utilisation de pesticides représente un risque pour la santé des utilisateurs et des populations (INSERM, 2021). Ce risque bien qu’avéré est encore mal décrit de par la multiplicité des substances utilisées en agriculture, mais également du fait du manque d’information disponible sur l’utilisation de celles-ci sur les territoires à des échelles de temps longues, temporalité à laquelle se déclare généralement les effets des pesticides sur la santé.

Cette étude prend en compte les aspects « législatifs » conditionnant l’utilisation des produits pesticides. En effet, ceux-ci sont autorisés pour 1) un type de production (tomate, banane…), 2) pour un usage (désherbage, traitement du sol…), 3) contre une « peste » (champignons, insectes…) (Données e-phy 2022, Anses). Les molécules, et donc les produits commerciaux, sont toutefois interdits au fur et à mesure des années lorsqu’un lien est avéré entre leur usage et la santé (humaine ou environnementale). Par exemple, en Europe 800 substances actives étaient autorisées en 1990 contre 489 en 2004 (INRA 2011). Les pratiques agricoles évoluent en lien avec la disponibilité des produits utilisés pour les traitements. Ainsi, la variabilité dans l’espace et dans le temps de ces pratiques doit être prise en compte pour pouvoir reconstruire l’historique de l’utilisation des produits pesticides sur un territoire. De plus, les produits étant autorisés pour un type de culture, disposer de l’occupation du sol agricole d’un territoire sur le temps long est une étape importante pour estimer les pollutions résultantes des activités agricoles (Maxwell et al. 2010).

La Guadeloupe a un climat tropical tempéré. Les îles sont exposées aux alizés et le climat se décompose en deux saisons, « carême » (saison sèche) et « hivernage » (saison humide), s’étendant respectivement de janvier à juin et de juillet à décembre. Une hétérogénéité climatique et de paysages s’observe entre les deux îles principales. La Basse-Terre composée de reliefs important est par conséquent beaucoup plus humide que la Grande-Terre qui est plus sèche et chaude. Le sud Basse-Terre est particulièrement « arrosé » par la pluie du fait de la présence du massif de la Soufrière. De plus, on notera que la géologie de la Basse-Terre est volcanique alors que celle de la Grande-Terre est principalement calcaire. En résultent des conditions pédoclimatiques distinctes entre ces deux îles. On retrouvera principalement des andosols, des nitisols et des feralsols en Basse-Terre, alors que la Grande-Terre est dominée par les calcisols et les vertisols (Sierra & Desfontaines 2018). Ces différences pédoclimatiques ont un impact sur les cultures réalisées sur chaque île.

L’occupation des sols est donc une variable clé afin de rendre compte des pressions pesticide à l’échelle des territoires (Rull & Ritz 2003). Pour cela, différentes cartographies ont été identifiées comme potentielles ressources pour l’étude :

  • Des cartes de l’IGN (scans historiques 1950 ; révision de 1969),
  • Des cartes historiques des zones culturales produites par la DAAF (1980 ; 1987),
  • Cartes de cultures guadeloupéennes de L’Atlas des départements français d’outre-mer (CNRS-ORSTOM 1982),
  • Les relevés DCEA de 2010 et 2013,
  • Les occupations de sols « Karucover » produite par la DAAF de Guadeloupe,
  • Les registres parcellaire graphique (RPG) et les données Agrigua (qui sont des déclarations de culture par surface faites par les agriculteurs).

L’utilisation de polluants sur les terres agricoles sur une longue période peut être représentée de multiples manières. La représentation retenue pour cette étude considère que l’usage des pesticides dépend avant tout des orientations culturales. Ainsi certaines cultures ont été historiquement fortes utilisatrices de pesticides soit visant de multiples cibles (cas de la banane) ou des usages plus ciblés (herbicides dans le cas de la canne). Pour chaque culture, l’itinéraire technique (ITK) permet de décrire les modalités d’apport des pesticides concernant les types de molécules utilisées, les doses et les fréquences d’apport.

L’approche par la modélisation a été choisie pour la création d’indicateurs annuels de pression pesticide. DynPestSols (nom provisoire) est le modèle développé dans le cadre du projet à l’aide de la plateforme de modélisation Ocelet (Degenne & Lo Seen 2016). Il permet la mise en action de différents itinéraires techniques (définis à l’échelle du territoire guadeloupéen). Ces ITK varient en fonction des différents types de cultures et des années car les pratiques évoluent dans le temps (apparition de l’Agriculture Biologique, alternatives à l’utilisation de produits trouvés tels que les pièges à charançons, etc…). Ces ITK mettent en place des traitements utilisant des produits pesticides et/ou substances actives en fonction des interdictions et autorisations de ceux-ci (le cadre législatif relatifs aux produits est pris en compte). Une reconstitution de l’évolution des ITK au cours du temps pour chaque culture sur l’ensemble de la sole agricole guadeloupéenne a donc été réalisée. Les ITK ont été identifiés par un travail d’enquête auprès de différents acteurs de l’agriculture Guadeloupéenne (producteurs, SICA, chambres d’agriculture…). Cette enquête, ainsi qu’un travail de bibliographie, a permis d’identifier des ITK moyens, anciens et actuels, sur le territoire pour trois types de production en Guadeloupe : la banane, la canne à sucre et le maraîchage. Ce choix a été fait car la banane et la canne à sucre représentent la grande majorité des surfaces agricoles en Guadeloupe avec des pratiques bien documentées.

La représentation du devenir des pesticides est un autre objectif. L’approche retenue est basée sur une représentation locale des processus de dégradation, de rétention des molécules par le sol et de lixiviation. L’agrégation par sommation ou moyennage a été retenue pour représenter ces processus à des échelles supérieures (bassin versant par exemple) mais aucun processus de transfert entre compartiments n’est considéré (sol->nappe->rivière par exemple). La nécessité de disposer d’un invariant géographique au cours du temps a conduit à synthétiser l’activité agricole au sein de carreaux. Le sol est simulé par le biais d’un carroyage où les substances actives vont se retrouver et où des processus de lixiviation et dégradation vont avoir lieu afin d’estimer le devenir de ces substances. Ces processus sont simulés grâce à des modèles issus de précédents travaux réalisés par le Cirad (Comte et al. 2022).

Ainsi, le modèle DynPestSols simule l’activité agricole et le devenir des pesticides apportés sur la base de ces représentations sur le long terme. Différentes informations sont enregistrées au fur et à mesure de son exécution afin de pouvoir calculer chaque année les différentes variables qui seront mobilisées pour élaborer des indicateurs synthétiques annuels. DynPestSols représente donc une approche originale pour rendre compte des pollutions pesticides d’origine agricole sur des territoires de tailles diverses sur le temps long. Le modèle permet de prendre en compte l’évolution des occupations de sols et des pratiques agricoles ainsi que les aspects législatifs autour de l’utilisation des produits pesticides, eux aussi évoluant sur le temps long.

Source : Extraits du rapport d’activités de Victor Dufleit 2022

Bibliographie:

  • Comte, I., Pradel, A., Crabit, A., Mottes, C., Pak, L.T., Cattan, P., 2022. Long-term pollution by chlordecone of tropical volcanic soils in the French West Indies: New insights and improvement of previous predictions. Environmental Pollution 303, 119091. https://doi.org/10.1016/j.envpol.2022.119091
  • Degenne, P., Lo Seen, D., 2016. Ocelet: Simulating processes of landscape changes using interaction graphs. SoftwareX 5, 89–95. https://doi.org/10.1016/j.softx.2016.05.002
  • INSERM, 2021. Pesticides et effets sur la santé: Nouvelles données.
  • Lasserre, G., 1952. Une plantation de canne aux Antilles : La Sucrerie Beauport (Guadeloupe). caoum 5, 297–329. https://doi.org/10.3406/caoum.1952.1817
  • Lerin, F., 1977. La réforme foncière aux Antilles françaises : le cas de Marie Galante (Guadeloupe) et ses implications. tiers 18, 833–847. https://doi.org/10.3406/tiers.1977.2762
  • Mardivirin, M., 2000. Les évolutions de l’agriculture en Guadeloupe : caractéristiques et enjeux 4.
  • Maxwell, S.K., Meliker, J.R., Goovaerts, P., 2010. Use of land surface remotely sensed satellite and airborne data for environmental exposure assessment in cancer research. J Expo Sci Environ Epidemiol 20, 176–185. https://doi.org/10.1038/jes.2009.7
  • Rhino, B., Dorel, M., Tixier, P., Risède, J.-M., 2010. Effect of fallows on population dynamics of Cosmopolites sordidus : toward integrated management of banana fields with pheromone mass trapping. Agricultural and Forest Entomology 12, 195–202. https://doi.org/10.1111/j.1461-9563.2009.00468.x
  • Rull, R.P., Ritz, B., 2003. Historical pesticide exposure in California using pesticide use reports and land-use surveys: an assessment of misclassification error and bias. Environmental Health Perspectives 111, 1582–1589. https://doi.org/10.1289/ehp.6118
  • Sierra, J., Desfontaines, 2018. Les sol de la Guadeloupe ; Genèse, distribution & propriétés.